Retour de lecture pour : Âmes Perdues, Poppy Z. Brite
Certains de mes retours de lecture peuvent présenter des éléments d’intrigues.
Retour de lecture :
Comment puis-je commencer ma chronique autrement qu’en affirmant d’ores et déjà que j’ai adoré cette lecture ?!
Quelles sont sublimes ces âmes perdues ! Certaines attachantes telles Ghost, Nothing et Christian, d’autres détestables comme Zillah, Molochai et Twig…
Qu’il est long, ce chemin frôlant l’abysse, qu’il est facile d’y tomber… Que l’autrice est douée pour décrire la vie de ces flammes tantôt incandescentes tantôt sur le point de mourir…
J’ai aimé cette écriture poétique de la monstruosité et de la souffrance, elle m’a fait l’effet d’un tatouage, ça gratte bien la peau, ça picote et parfois ça taquine bien les nerfs mais on adore le résultat et on se dit que ça valait vraiment la peine de serrer des dents à certains moments… L’autrice manie de main de maître sa narration, les alternances de réflexion et de ressentis personnels, la diversité et la complexité des personnages mais surtout leur émotionnel et leur psychologie, c’est un exercice de style loin d’être facile avec autant de diversité. Une réussite à n’en pas douter !
Ghost sentit la terreur qui monta en Robert lorsqu’il entendit des bruits – murmures insidieux, rires doucereux -, des bruits qui ne provenaient pas des monstres ordinaires de la nuit mais de créatures plus sombres, plus étranges, plus résolues et infiniment plus redoutables. Puis ces mains qui le saisissent par derrière, quatre mains fortes aux ongles acérés, et ces bouches avides qui se posent sur son corps, lui arrachant et ses forces et sa vie. Puis il n’y eut plus que la douleur qui monte en spirale, qui atteint des sommets insoupçonnés – une douleur exquise, une douleur qui occulte la moindre pensée, le moindre souvenir, la moindre notion d’identité. Connaître une telle douleur signifie renoncer à ce qu’on est, signifie devenir la douleur, mourir sur les ailes de la douleur, emporté par son chant silencieux. C’était ce qui était arrivé à Robert.
Les personnages sont construits brillamment, j’ai du mal à me dire que c’est un premier roman, ils ont de la profondeur, ils sont complexes, torturés, fous ou désespérés mais jamais tièdes, ou bien seulement en apparence.
J’ai adoré Ghost bien sûr, tout est fait pour l’aimer, il est sublime avec ce fardeau de sensitivité sur les épaules, on ne peut qu’aimer ce phare dans cette obscurité, il réchauffe et rassure… Nothing, quelle beauté dans l’absurdité de sa chute, il est une flamme noire hypnotique qu’on ne veut pas laisser s’éteindre… Christian, ce sublime vampire à l’ancienne de 383 ans, abîmé par trop de solitude, dépassé par les nouveaux de sa race, ce sont ses reliques d’amour de l’humanité qui le rendent si attachant…
Il perçut tout d’abord une sensation d’ancienneté et de sagesse incommensurable ; cette créature n’était pas un homme. Puis une horrible solitude empreinte de résignation, la nostalgie d’un être perdu à jamais. L’esprit du marchand de fleurs était pareil à un néant doué de conscience, trop vide pour être triste, plus glacial encore que la nuit.
Et puis, il y a les autres qu’on aime, puis qu’on déteste, puis qu’on aime de nouveau juste parce qu’ils sont terriblement humain dans leurs failles et leur décadence, les Steve, Ann, Arkady, Jessy, Wallace, etc., des vivants torturés qui tentent d’échapper à leur enfer personnel.
Et bien sûr ceux qu’on déteste mais qu’on aime détester parce qu’ils ajoutent au sublime de l’horreur et de la terreur, il n’y a pas de jour sans nuit et les Zillah, Molochai et Twig donnent de la profondeur au vertige qu’on ressent au bord de ce gouffre qu’on découvre à la lecture.
Ma grand-mère m’a dit qu’il ne faut pas essayer de définir le mal, parce que dès qu’on croit y être parvenu, une nouvelle forme de mal vous apparaît soudain et s’insinue dans vos pensées. A mon avis, personne ne sait ce qu’est le mal. Et personne n’a le droit de le dire.
Ce roman où les destinées s’entrecroisent est époustouflant par son ambiance pesante et glauque, que l’on soit baigné du froid glacé de Missing Mile ou de la chaleur moite de la Nouvelle-Orléans, la pesanteur est là, toujours plus forte. Le surnaturel est tellement intégré dans une décadence profondément humaine qu’il en devient presque banal, il sert l’histoire mais au fond il fait surtout réfléchir sur notre humanité, ses bas-fonds et ses abysses de désespoir…
L’originalité du mythe du vampire traités en différents types d’évolution entre Christian, l’ancien vampire attachant, les meurtriers d’Ashley qui se nourrissent par contact et les nouveaux vampires psychopathes capables de se reproduire avec des humaines et enfin Nothing qui ouvre la voie à encore autre chose, nous avons ici un panel qui sort des sentiers battus et rebattus tout en rendant hommage au mythe classique. La sorcellerie vient subtilement ajouter à ce décor hétéroclite dans un équilibre parfait. Le tout soutenu par une narration maîtrisée.
Mais… »Aide ceux que tu aimes, lui avait dit un jour sa grand-mère, aide-les quand tu le peux, et ensuite occupe-toi de tes affaires. Ton don ne te confère pas le droit de remodeler la vie des autres. Peut-être que tu peux voir leurs âmes, mais ils n’auront pas toujours envie que tu leur serves de miroir. »
Pour conclure, je prends cette oeuvre dans son intégralité, je n’ai pas de bémol, j’ai errer avec ses âmes perdues, j’ai souffert avec elles, j’ai eu peur avec elles et je me suis demandée avec elles le pourquoi du comment… C’est un roman profondément humain malgré le fantastique, humain dans le pire et le meilleur et donc sublime… C’est une ballade triste des désespérés, l’intrigue fantastique n’est que la cerise sur le gâteau… Un roman frappant et envoûtant qui rejoint directement mes favoris du genre…
Pour public averti uniquement.
Ma notation est un coup de coeur bien sûr !
Pour aller plus loin…
4e de couv. : A quinze ans, Nothing, adolescent rebelle et mal dans sa peau, s’enfuit de chez ses parents. Sa route crosse celle des Lost Souls créatures étranges, vêtues de noir, qui boivent une liqueur au goût de sang. Insatiables, sensuels, sauvages, ce sont des prédateurs sans loi qui n’obéissent qu’à leurs instincts. Avec Molochai, Twig et Zillah, Nothing part en quête d’amour, de sexe et de violence au son de longs riffs lancinants dans les boîtes punk de La Nouvelle-Orléans et découvre la vérité sur ses origines… Poppy Z. Brite nous entraîne dans un univers noir où les vampires profitent de leur immortalité pour s’adonner à toutes les perversions et braver tous les interdits de la société puritaine américaine.
L’ autrice : Née en 1967 aux Etats-Unis, Poppy Z. Brite a reçu en 1994 le British Fantasy Award pour son oeuvre provocante. Elle est devenue l’un des chefs de file de la littérature underground et gothique. En 2000, elle remporte le prix Masterton, dans la catégorie roman étranger, pour son roman Le corps exquis. Entre littérature underground et terreur, son oeuvre provocatrice (Sang d’encre, Le corps exquis…) dévoile la réalité froide et crue d’une société puritaine à la dérive.
Des lectures similaires ? Je vous propose :
– Dans les Veines de Morgane Caussarieu
– Je suis ton Ombre de Morgane Caussarieu
– Le Secret de l’Immortelle de Alma Katsu
Ah je suis vraiment contente de lire une chronique sur Brite 😍 surtout aussi enthousiaste !
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Ah oui très enthousiaste, comme pour Je suis ton Ombre de Caussarieu c’est un coup de coeur, c’est totalement ce que j’aime dans les terreurs, c’est pour ça que j’essaie de me refaire les anciennes collections, ce type d’ambiance on en trouve pas des masses aujourd’hui…
J’ai d’ailleurs passé le flambeau en recommandant ce titre…
Encore merci 😉
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Je suis ravie de le lire, merci à toi 😊
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