Retour de lecture pour : Sang d’encre, Poppy Z. Brite
Certains de mes retours de lecture peuvent présenter des éléments d’intrigues.
Retour de lecture :
J’avais eu un coup de coeur pour Âmes perdues, et j’avais bien hâte de découvrir les autres oeuvre de Poppy, décidément quel talent pour mettre en scène la nature humaine dans ce qu’elle a de pire et de meilleur. Ce roman est aussi bon que le premier cité. Ici point de vampire, point d’éternité mais toujours la question du prix du sang et de la vie.
Dans ce roman, qui est une prolongation d’Âmes Perdues sans être une réelle suite, on retrouve des protagonistes connus et surtout les deux villes centrales.
La Nouvelle-Orléans et Missing Miles sont presque des personnages à part entière tant l’autrice leur donne une personnalité et un pouvoir sur les gens.
Vaguement mentionnés, nous avons indirectement des nouvelles de Ghost et de Steve, nous retrouvons d’autres habitants de Missing Miles déjà connus comme Kinsey et Terry, ils offrent ici une présence bienveillante malgré ce spectre de résignation qui les habitent. Ils sont presque l’antithèse de la maison hantée aussi accueillants et protecteurs que la maison est repoussante et maléfique. Car, oui, LA maison et Birdland sont un même personnage informe et qui présente un visage différent selon la personne qui le visite.
Le fait de personnifier les villes tout autant que la maison donne réellement de la profondeur à l’histoire et permet des acrobaties narratives très réussies. Cela donne également l’occasion d’approfondir l’impact psychologique et énergétique des lieux, c’est un élément très efficace selon moi.
Nos deux protagonistes principaux maintenant, dans ce roman nos deux héros n’ont rien d’héroïque, leur seul héroïsme est d’avoir survécu à la violence, d’essayer de survivre encore avec leurs traumatismes et de trouver un sens à toute cette violence dont ils ont hérité et que puis-je dire si ce n’est que cette thématique ma touche particulièrement.
Trévor et Zach sont l’incarnation même de l’errance humaine qui a été déterminée par le malheur et la violence dans l’enfance et, devenus adultes, ils cherchent encore une raison d’exister au milieu de tous ces traumatismes. C’est une ode à la résilience… L’autrice décrit avec brio la hantise de la souffrance, marqués au fer rouge, les protagonistes ne peuvent s’en sortir qu’en allant plonger au fond de leur propre abyme. C’est ainsi et ainsi seulement qu’ils peuvent décider se s’en sortir et de passer à autre chose…
Kinsey ne pouvait discerner que d’immenses lettres ondoyantes, peintes en or à mi-hauteur du mur : NOUS N’AVONS PAS PEUR.
Cette phrase aurait pu servir d’hymne à tous les gamins qui franchissaient le seuil de l’If, se dit Kinsey. Et pourtant, ils avaient peur, tous jusqu’au dernier, terriblement peur. Peur de ne jamais connaître ni l’âge adulte ni la liberté, ou peur d’y perdre leur âme fragile ; peur d’un monde qui pouvait se révéler trop terne, trop glacé ; peur de rester aussi seuls qu’ils avaient l’impression de l’être. Mais aucun d’eux ne l’aurait admis. Nous n’avons pas peur, chantaient-ils en choeur avec les musiciens, le visage baigné d’une lumière dorée, nous n’avons pas peur, et ils le croyaient au moins jusqu’à la fin de la chanson.
L’histoire de fantôme et de maison hantée n’est qu’une excuse pour donner plus de volume à cette quête de sens et cette quête de soi, et c’est brillamment utilisé, aucun effet de manche de trop tout est parfaitement orchestré. Entre hantise par les fantômes du passé et délires psychédéliques dus aux drogues, tout rythme la lente descente de nos deux flammes vacillantes au fond de leur enfer personnel.
Leur histoire d’amour sublime le tout, donne au lecteur envie de les voir s’en sortir, nous les aimons nos flammes frémissantes dans la tempête, tout comme pour Nothing d’Âmes perdues qu’on ne pouvait qu’avoir envie de voir s’en sortir, il en est de même ici pour Trévor et Zach.
Il aimait bien les films de Tim Burton – c’était toujours un régal pour les yeux -, mais ils ne manquaient jamais de l’irriter. Ils semblaient défendre une normalité crasse sous leur vernis de bizarrerie. Il avait adoré Beetlejuice jusqu’à la dernière scène, au milieu de laquelle il était sorti du cinéma avec l’envie de taper sur quelque choses. Le spectacle de Wimona Ryder, naguère si étrange et si séduisante avec ses cheveux en bataille et son rimmel mal appliqué, et à présent toute propre et bien peignée, avec sa jupette, ses chaussettes et son grand sourire si foutrement normal… c’était insoutenable.
L’écriture de Brite est vibrante, envoûtante dans une prose poétique tantôt crue tantôt mélancolique, le tout entremêlé d’éclats de violence et de bribes de désespoir. Hypnotisant. Les pages se tournent sans qu’on s’en rende compte. Pour profiter pleinement du cadre brossé par l’autrice, si vous ne connaissez pas les références autant musicales que graphiques, je vous recommande de prendre le temps d’aller farfouiller sur le net histoire de vous imprégner totalement de l’atmosphère créée.
Dans l’état de rage aveugle qui vous envahit en de telles circonstances, on est capable d’arracher la tête à son prochain et de boire goulûment le sang qui jaillit de son cou, et seuls vous en empêchent les contraintes de la civilisation et le manque de puissance physique
Mais plus tard, quand on a le temps de réfléchir, on se dit qu’il ne sert à rien de faire du mal à des gens comme ça, qu’ils ne sont peut-être même pas assez vivants pour souffrir. Mieux vaut conserver sa rage par-devers soi, la laisser croître jusqu’à ce qu’on en ait réellement besoin.
Ce que j’aime dans les livres de Brite c’est cette crudité de l’humain, ces portraits brossés sans enjoliver les choses, on baigne dans les fluides corporaux et les basiques instincts primaires de l’humain. Peut-être parce que je l’ai vécu, mais ce moment où l’on doit choisir entre la vie et la mort, ce moment en équilibre sur la brèche sans savoir si l’on va basculer d’un côté ou de l’autre, je l’aime, je l’aime profondément parce que, dans le verbe de Brite, il y a tous les paradoxes que l’on peut vivre à cet instant là jusqu’au choix final de se laisser aller ou de combattre encore un peu… ça me touche plus que je ne saurai le dire et que je n’irai le raconter…
Je peux comprendre que les gens qui n’ont pas vécu cet instant pivot trouvent ces miroirs déformants dérangeants et malsains, pour moi ils sont plus réalistes que nature et sont nécessaires pour exorciser des bagages de souffrance…
Zack considérait le surnaturel d’un œil prudemment sceptique, mais il lui semblait ridicule d’élaborer des explications aussi rationnelles qu’improbables dans le seul but de nier son existence. La nature est un système des plus complexes ; un simple examen superficiel ne suffit pas à en épuiser toutes les possibilités.
Pour conclure, c’est encore une fois un roman profondément humain malgré le fantastique, humain dans le pire et le meilleur et donc sublime…L’aspect visuel et fantastique ne sont là que pour mieux servir l’intrigue. Les personnages sont attachants, profonds, leur psychologie et leur émotionnels sont la substantifique moelle de ce livre.
C’est encore un coup de coeur, je ne saurai que trop vous le recommander tout comme Âmes perdues.
Pour public averti uniquement. A ne pas lire si vous ne supportez pas la violence, les relations et les amours homosexuelles.
Ma notation est un coup de coeur bien sûr !
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Pour aller plus loin…
4e de couv. : A Missing Mile, petite bourgade de Caroline du Nord, personne n’a oublié Bobby McGee : un soir de juin, cet auteur de bandes dessinées a massacré sa femme et leur bébé avant de se suicider, épargnant son fils Trevor, alors âgé de cinq ans. Vingt ans plus tard, Trevor revient avec son amant Zach – jeune pirate informatique recherché par le FBI – célébrer un anniversaire dans la maison du drame, que personne n’a osé habiter depuis… Si le destin se répète, implacable, il ne peut s’écrire qu’avec un sang d’encre. L’encre dans laquelle Poppy Z. Brite plonge sa plume pour explorer les âmes, leurs meurtrissures et leurs égarements.
L’ autrice : Née en 1967 aux Etats-Unis, Poppy Z. Brite a reçu en 1994 le British Fantasy Award pour son oeuvre provocante. Elle est devenue l’un des chefs de file de la littérature underground et gothique. En 2000, elle remporte le prix Masterton, dans la catégorie roman étranger, pour son roman Le corps exquis. Entre littérature underground et terreur, son oeuvre provocatrice (Sang d’encre, Le corps exquis…) dévoile la réalité froide et crue d’une société puritaine à la dérive.
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