Retour de lecture pour : Rouge, Pascaline Nolot
Certains de mes retours de lecture peuvent présenter des éléments d’intrigues.
Retour de lecture :
Première lecture dans le cadre du PIF 2021. (Serais-je à la bourre ? Nonnnnnnnn presque pas….. :-p)
Rouge est une réécriture du petit chaperon rouge. Ce conte, comme la plupart des contes connus d’ailleurs, est fascinant par sa longévité tout autant que par le nombre de ses déclinaisons en France, selon les régions, mais aussi à l’étranger. Dans mon travail, on cherche bien souvent le ou les sens cachés selon les différentes variantes : ésotérisme, procédés alchimiques, parcours initiatiques, analyse psychanalytique ou sociologique, on peut y voir tout ce que l’on peut y chercher. Je pense que les réécritures modernes racontent, quant à elles, beaucoup de l’auteur ou de ce qu’il a perçu du conte.
La plupart du temps, on connait l’adaptation de Charles Perrault ou des frères Grimm mais il s’agit à l’origine d’un conte de tradition orale. Je précise ceci car je trouve qu’il est intéressant de le rapprocher du fonctionnement du village du roman où seule la parole est porteuse de malheur ou de malédiction. L’écriture, du moins le peu qui en est présentée dans l’histoire, est quant à elle niée ou secrète. Voulu ou non, c’est très intéressant comme parallèle pour une reprise de conte.
Sinon il faut que je dise que je ne m’attendais pas du tout à ce type de roman. C’est une lecture à la fois facile et difficile. Facile parce que l’autrice possède une plume efficace, difficile parce qu’il traite de différentes formes de violences avec un réalisme qui égratigne. J’avoue que même cette chronique est difficile à rédiger et qu’elle sera certainement moins longue et détaillée que d’habitude. J’ai du mal à me remettre de cette lecture qui, bien que fantastique, a, pour moi du moins, un côté bien trop réaliste. Il ne m’a clairement pas laissé indemne, il tape trop fort sur mon histoire personnelle a bien des égards.
– t’ai-je induite en erreur ou t’es-tu leurrée toi-même ? Tu as vu une femme très belle et tu en as déduit que je n’étais pas celle à laquelle tu t’attendais… Fais un effort et réfléchis ! Pourquoi être sorcière me condamnerait-il à être laide ? Toi qui es hideuse, es-tu pour autant envoûteuse ?
La première chose marquante que l’on peut relever sur ce roman, c’est bien sûr la délicieuse plume de l’autrice, délicate et recherchée, teintée d’une poésie qui contraste avec les événements dépeints, elle narre l’horreur et la cruauté avec la précision d’un poignard incrusté de joyaux, c’est brutal mais c’est fait avec une élégance certaine.
Le détournement horrifique de ce célèbre conte débute sur les chapeaux de roue. Le lecteur est plongé d’emblée dans l’histoire, c’est implacable, cinglant et choquant et donc d’autant plus efficace.
Rouge, l’héroïne, est montré comme une victime, un bouc émissaire mais elle recèle dans son lien avec Liénor un rayon de lumière et donc d’espoir. C’est un personnage qui va de l’avant émotionnellement, psychologiquement et intellectuellement dans un environnement conditionné par l’immobilisme, la peur et la fatalité.
Ce personnage est complexe et attachant, elle incarne le passage à l’âge à adulte et à mon sens, plus que la perte d’innocence (quand on est traité comme l’est Rouge, l’innocence réelle n’est déjà plus, on est déjà un enfant survivant…), comme c’est présenté par l’éditeur, elle nous entraîne dans un parcours initiatique celui de la guérison, de l’émancipation et du pardon. A travers ses espoirs et ses mésaventures, de nombreuses problématiques sont abordées. Ainsi les violences physiques et morales, le culte des apparences, la superstition, l’instruction, l’autonomie, la liberté sont abordées sous les prismes de la collectivité tout autant que de l’individu. Il se dégage irrémédiablement une aura de féminisme dans cette oeuvre.
J’ai beaucoup aimé comment Nolot présente les habitants de Malombre, il me font penser à la foule parisienne du manga Innocent et à la réflexion qui y est portée (Liénor n’est d’ailleurs pas sans me rappeler Charles Henri Samson du manga en question). Comment faire en sorte d’apporter la raison a un peuple assoiffé de sang et qui se venge par procuration de sa propre faiblesse à endurer le malheur plutôt qu’à faire évoluer les choses, comment l’individu peut-il se rebeller quand sa survie même est en jeu, comment changer les esprits qui préfèrent des mensonges rassurants à une réalité bien trop terrifiante sont autant de réflexions qui imprègnent le roman d’un bout à l’autre.
« – Mettriez-vous en doute la puissance de votre Maître ? se récria l’homme de foi.
L’ermite se crispa.
– Mon Maître ? Tu as de la sorcellerie une vision si caricaturale que cela en est grotesque ! Sache que je suis une femme libre, sans dieu ni souverain ! Je n’ai juré allégeance ni du côté du mal, ni du côté du bien. Deux versants qui, à t’observer, ne forment qu’une seule et même pente vertigineuse…
Je savais que ce roman détournait le conte du petit chaperon rouge mais je ne m’attendais pas à trouver également une référence à Dorian Gray tout autant qu’à une autre sorcière célèbre… le mélange fonctionne extrêmement bien, c’est original et offre une richesse narrative qui sort des sentiers battus.
J’ai un seul bémol, il tient aux répétitions assez nombreuses qui s’expliquent par le déroulé de l’histoire mais confèrent certaines longueurs en plus d’enfoncer le clou sur des thématiques sensibles, parfois on se sent réellement matraqué par la thématique.
Il faut quand même que je parle de ce qui peut choquer certaines personnes, à savoir les violences notamment les viols qui peuvent racler là où ça fait mal, d’autant qu’on a un point de vue de violeur, et j’avoue que ce n’est pas facile à lire sans grincer des dents dans le meilleur des cas. J’ai moi-même dû interrompre ma lecture plusieurs fois alors que je suis une habituée des lectures pour public averti… Je ne recommanderai donc ce roman qu’à ceux et celles qui se sentent de lire ce genre de choses, il faut être d’autant plus averti que c’est quand même un gros fil rouge (sans mauvais jeu de mot) du roman et que le réalisme des faits rend parfois la lecture très inconfortable et dérangeante…
En réalité, les habitants des villes sont enfermés dans leurs propres a priori et ne traitent pas mieux leur prochain. S’ils se croient libres, c’est parce qu’ils sont trop aveugles pour distinguer leurs barreaux…
En conclusion donc, Rouge est une oeuvre étonnante et dure, horrifique et fantastique tout en reprenant de sombres thématiques bien réelles et très (trop ?) réalistes. La plume aiguisée de Pascaline Nolot est un pur bijoux dont la délicatesse tranche brutalement avec la noirceur de son roman. C’est un voyage initiatique tout autant que cathartique dans lequel nous sommes invités, mais tout le monde n’aura pas le cœur d’y plonger, mieux vaut être averti que si le message final parle de guérison, de libération et de pardon, le chemin ne sera pas sans en remuer certains…
C’est un roman que je ne recommanderai certainement pas à tout le monde par son excès de réalisme mais à ceux qui ne craignent pas la violence de la thématique, plongez dans cette oeuvre saisissante, elle vaut le détour et ne laisse pas indifférent… indubitablement…
Ma note finale est donc un 15/20
Pour aller plus loin…
4e de couv. : Accroché au versant du mont Gris et cerné par Bois Sombre se trouve Malombre, hameau battu par les vents et la complainte des loups. C’est là que survit Rouge, rejetée à cause d’une particularité physique. Rares sont ceux qui, comme le père François, éprouvent de la compassion à son égard. Car on raconte qu’il ne faut en aucun cas toucher la jeune fille sous peine de finir comme elle : marqué par le Mal. Lorsque survient son premier sang, les villageois sont soulagés de la voir partir, conformément au pacte maudit qui pèse sur eux. Comme tant d’autres jeunes filles de Malombre avant elle, celle que tous surnomment la Cramoisie doit s’engager dans les bois afin d’y rejoindre l’inquiétante Grand-Mère. Est-ce son salut ou bien un sort pire que la mort qui attend Rouge ? Nul ne s’en préoccupe et nul ne le sait, car aucune bannie n’est jamais re venue…
Des lectures similaires ? Je vous propose :
– Pour découvrir d’autres destins de femmes => Black Mambo de Caussarieu, Terral et Dabat
– Pour d’autres sorcières à découvrir absolument… => Rien que des sorcières de Katherine Quenot
– Pour découvrir un autre parcours initiatique => Ce dont rêvent les ombres de Hilda Alonso
Tout d’abord, je la trouve très détaillée ta chronique et surtout intéressante dans son analyse d’un texte qui semble mêler horreur et poésie avec brio.
Le roman est dans ma PAL d’emprunts et j’espère arriver à supporter sa dureté, mais vu la beauté de la plume de l’autrice, cela devrait passer…
Merci pour ton avis.
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merci 😉
je te confirme, effectivement Nolot joue sur le contraste d’une écriture poétique pour raconter l’horreur, c’est l’un des éléments de réussite du roman.
J’espère qu’il te plaira, j’ai hâte de lire ton retour, par contre je t’encourage à le lire quand tu as le moral 😉
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Comme c’est un emprunt, je n’ai pas trop le choix de la période de lecture, mais si je vois que ça bloque, je le réemprunterai plus tard…
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Ce n’est pas un texte facile toutefois j’ai adoré le découvrir, pour toutes les raisons que tu cites. Mais ça manquait en effet d’un tw je pense.. Très belle chronique en tout cas 🙂
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merci 😉
oui c’est un roman dur et un TW aura été bienvenue mais même avec je pense que certains auront du mal comme moi… mais ça donne tellement envie de découvrir les autres oeuvres de l’autrice… 😉
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J’ai eu l’occasion de lire ses deux jeunesses en Chatons Hantés et franchement j’ai bien aimé 🙂 Je trouve que l’autrice s’améliore au fil du temps.
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oui j’ai vu ça sur ton blog, je vais prendre celui sur l’insomnie je pense, ça me parle bien 😉
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bonjour, comment vas tu? j’aime beaucoup les détournements de conte. celui-ci a l’air bien travaillé. à voir. passe un bon lundi et à bientôt!
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Coucou, ça va et toi ?
oui effectivement le détournement de conte à proprement parlé est vraiment bien utilisé… les éléments principaux qui constituent le conte de base sont utilisés de façon très fine et intelligente 😉
faut juste le lire quand on a le moral 😉
Belle journée
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J’ai trop envie de le lire, il m’attend sagement dans ma Pal héhé
Kin
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j’ai hâte de savoir ce que tu en auras pensé 😉
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Ouch, ce que tu en dis me fait peur. Je crains de me trouver trop égratignée justement. Après, c’est aussi le rôle de la littérature. Mais je redoute un peu jusqu’à quelle profondeur l’égratignure ira. En ce moment, je ne suis pas de taille à lire des choses qui me bousculent autant, sur ces sujets en particulier.
En revanche, j’admire le travail que tu as pu faire sur cette chronique, visiblement ça a été une lecture difficile pour toi et pourtant tu en as fait une chronique complète, détaillée, qui met bien en valeur tous les aspects positifs de l’œuvre. Tu dis que ta chronique est moins longue, mais elle est d’une très grande qualité malgré tout. Cela n’a pas dû être un travail facile. Alors pour ça, un très grand bravo !
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Merci pour ton gentil commentaire, ça n’a pas été simple effectivement, je me suis offert une relecture de scorpi derrière pour m’en remettre :-p
C’est un livre qui mérite d’être connu malgré sa dureté, ne serait-ce que parce que le message final est primordial mais clairement si en ce moment tu ne te sens pas les épaules, ne te force pas…
Pour te resituer, je fais partie des personnes qui ont fait ce chemin de pardon, de libération et de guérison et je travaille souvent avec des victimes dans mon travail. Mais là on ne parle pas juste d’un crime et on passe à autre chose, c’est le crime qui est la trame donc faut pouvoir encaisser la dose, les répétitions, et surtout le grand réalisme de la chose…
Si ce livre t’intéresse, je te conseille d’attendre un moment où tu te sens solide par rapport à ces choses là. La lecture a beau avoir un rôle cathartique, il ne faut pas que ça vire au masochisme 😉
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