Retour de lecture pour : La Sentinelle de Jean-Pierre Favard
Certains de mes retours de lecture peuvent présenter des éléments d’intrigues.
Retour de lecture :
C’est rare, parce que je n’y pense pas, mais, cette année, j’ai soutenu deux projets édioriaux sur Ululle, Le projet Lueurs Obscurs des Editions Ogmios en faisait partie, ils se décrivent ainsi : « une jeune maison d’édition indépendante qui porte une littérature de l’imaginaire dynamique, forte, émouvante et poussant à la réflexion ». En bonne amatrice de terreur/horreur, j’ai eu envie de soutenir leur nouvelle collection « de novellas fantastiques aux accents horrifiques ».
La Sentinelle est la première novella sur les trois reçues de cette nouvelle collection et je dois dire je suis très, très agréablement surprise. Par le format d’abord, très pratique, je suis partie en formation à Nantes une semaine, ils se glissent dans le sac de voyage le plus facilement du monde. Le travail éditorial est soigné, c’est apprécié et appréciable.
On sait comment sont les vieilles personnes. Surtout celles qui vivent seules, délaissées, sans proches pour venir leur rendre visite. Le temps s’étire à n’en plus finir et elles prennent un peu moins soin d’elles – parce qu’à quoi bon ? Elles regardent défiler les heures comme on regarde les nuages traverser le ciel. Tout cela ne veut plus rien dire. Plus rien ou si peu.
Pourtant, je dois bien avouer que j’ai eu une crainte en ouvrant le livre, en effet, si les illustrations sont réussies, la mise en page claire et identifiant parfaitement de quel volume de la collection il s’agit, j’ai eu un mouvement de recul sur les fiches de présentations des personnages. Ces dernières présente le prénom et un dessin du-dit personnage, un texte qui le situe dans l’histoire et c’est là que j’ai personnellement coincé… Il faut comprendre que l’on est sur une novella, pas plus de 76 pages en tout (format poche) et on nous spoile dessus… Je trouve ça très dommageable pour le texte car le principe d’une novella est bien d’être un texte condensé, quel intérêt de nous divulgâcher de la trame avant même de l’avoir lu ? Bref c’est un bémol, mon conseil, ne lisez pas les présentations personnages…
Il se parlait à lui-même ! Pire, il se disputait. Je fus tenté de le rassurer, mais je réalisai alors que je n’étais qu’une sorte d’ombre dans son décor. Une ombre qui faisait pendant à la sienne, mais qui n’avait pas d’autre rôle à jouer que celui de l’écouter.
Revenons au texte. Il n’y a rien à redire, l’auteur a une plume efficace, il nous embarque dans une ambiance pesante, étrange et parfois engluante en quelques phrases. Il traduit l’obsession et la paranoïa avec brio. J’ai particulièrement apprécié ce qu’il arrive à faire dégager comme impression à son sous-texte. Le fait qu’il ait choisi une narration à la première personne du singulier n’y est pas étranger, je pense. C’est efficace. L’inclusion d’extrait de journaux renvoie la balle au « je » du narrateur faisant avancer l’intrigue de façon rapide et intelligente. Le peu de dialogues que l’on peut trouver dans cette novella ne fait qu’exacerber le dialogue intérieur du protagoniste et le renvoyer à sa solitude. Brillant, idéal pour le format court.
Un bref mot sur la temporalité qui est très bien maniée, je remarque que c’est un élément qui me fait souvent tiquer dans les formats courts et, ici, ça passe crème, l’auteur sait ce qu’il fait, il sait comment et quand il nous y emmène, il ménage ses effets. C’est assez notable pour être souligné car c’est aussi ce qui permet à un format court d’être efficace.
C’est toujours un peu scabreux de pendre des éléments vus et revus des centaines de fois pour s’aventurer à écrire dessus, la bâtisse délabrée est un lieu commun de la littérature horrifique c’est donc difficile de faire original mais est-ce vraiment nécessaire ? et bien… non, je ne le pense pas, tout dépend du talent de l’auteur. Ici, c’est utilisé à la fois de façon traditionnelle et de façon originale mais je ne vais pas plus en dire pour ne pas vous gâcher la surprise. J’ai beaucoup apprécié les différents twists même si certains se devinaient aisément, leur arrivée s’emboîtait si parfaitement dans l’intrigue que le plaisir était là quand même.
Autre qualité du texte, et je m’excuse par avance de rester floue mais c’est pour ne pas divulguer des éléments d’intrigue importants, l’auteur a su introduire des résultats de recherches relativement récents sur des faits historiques, arguments scientifiques à l’appui pour appuyer ces derniers. C’était un pari assez risqué considérant la brièveté du format, l’équilibre entre le trop en dire et ne pas assez en dire est très fragile mais Favard a parfaitement su l’introduire dans la narration sans que cela fasse artificiel et il a ainsi pu donner davantage de poids et de profondeur à certains personnages introduits pourtant tardivement.
A cette heure de la nuit, la rue était déserte, les lampadaires étaient tous éteints. Aucune lumière ne brillait chez aucun de nos voisins. J’étais comme seul au monde. Cette pensée me bouleversa bien plus qu’elle ne l’aurait dû. Le monde était endormi et moi, j’étais éveillé, réveillé. Je veillais sur le monde à la manière d’une…
Sentinelle.
Je ne vais pas mettre tous les mots clés ce serait déjà dévoiler l’intrigue et cette novella étant toute fraîche, ce serait dommage de la dévoiler. Sachez qu’elle rentre dans mes thématiques habituelles et que je la recommande très très chaleureusement. J’ai passé un très bon moment de lecture, moi qui peinais à m’y remettre, et franchement, j’avais très hâte de vous en parler, j’espère que j’aurai été assez convaincante pour vous partager mon enthousiasme.
En conclusion, nous avons ici une novella terrifique vraiment très chouette, je suis très enthousiaste à l’idée de découvrir d’autre écrits de l’auteur mais également les novellas suivantes. Habituellement, le format courts ce n’est pas trop mon truc mais celle-ci me donne vraiment envie de m’ouvrir de nouveau au format, si elles sont toutes ne serait-ce qu’à moitié aussi bonnes que celle-ci, je ne pourrai qu’apprécier. Je vous invite donc à découvrir La Sentinelle et son auteur et, pourquoi pas, donner sa chance à cette jeune maison d’édition qui pour une première m’a fait très bonne impression.
Ma note finale est donc un 15/20
Disponible ici
Pour aller plus loin…
4e de couv. : Francis vit avec sa famille dans un quartier tranquille de Danvers, Massachusetts. Seule ombre au tableau : une bâtisse délabrée qui se dresse au bout de sa rue. Une maison vers laquelle il va bientôt se sentir irrésistiblement attiré. Comme si une force en lui tentait de prendre le contrôle de son corps, de son esprit, de sa vie. Comme cela fut le cas, autrefois, pour le vieux Georges, un de ses voisins. Un homme, un peu étrange, qui s’est lui-même baptisé « la sentinelle »!
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